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Voir loin penser long

Newsletter 30 juin 2020
MI-F - Voir loin penser long

ÉDITO

La crise du covid-19 impose de réinterroger notre manière de protéger nos ressources minérales à long terme

Tout est à revoir, y compris la manière d'appréhender l'avenir ! Après le séisme brutal représenté par la pandémie de Covid-19, le discours politique change. Le monde économique en flux tendus et approvisionnements aux quatre coins de la planète pose question. On entend depuis peu reparler d'autonomie et de souveraineté nationale ou européenne. Il faut dire que la crise sanitaire a révélé des dépendances à risque, par exemple sur les médicaments les plus simples. Cela repose le problème global de ce qu'il faut protéger et de ce que l'on peut confier à l'extérieur, y compris à des sources susceptibles de se tarir en cas de crise grave comme celle que nous traversons.

Minéraux stratégiques

Aux premiers maillons de la chaîne, les minéraux industriels sont concernés au premier chef. Sans diatomite, sans feldspath, sans argile, sans silice, sans talc, pas d'industrie automobile, de construction, d'alimentation saine, de papier éclatant. Cela implique de reposer la question de ce qui est essentiel, et de ce qui l'est moins.

« ce qui semble banal par temps calme,
peut devenir stratégique en période de « guerre » sanitaire »

En gardant à l'esprit que ce statut peut brutalement changer en fonction des circonstances. C'est le cas pour le carbonate de calcium : un composant à la fois commun parce qu'on l'extrait du calcaire, roche sédimentaire très répandue, mais rendu particulier par la crise qui a révélé ses usages pour la production de matériels de protection sanitaire. Comme le montre notre petite enquête sur ce minéral, ce qui semble banal par temps calme, peut devenir stratégique en période de « guerre » sanitaire, pour reprendre les termes du Président de la République.

Présence de l’imprévisible

Il en ressort que le monde d'après va supposer de recommencer à "voir loin" et à "penser long", en intégrant la présence de l'imprévisible. Dans le secteur des minéraux, nous nous considérons particulièrement bien disposés pour cet exercice. Il faut dire que tout en étant à l'heure des marchés, nous sommes aussi synchronisés avec l'horloge du temps géologique. Le cycle d'une carrière que nous avons décortiqué ce mois-ci rappelle que l'exploitation des ressources minérales est, en soi, une invitation à la prospective.

« tout en étant à l'heure des marchés,
nous sommes aussi synchronisés avec l'horloge du temps géologique »

En pratique, il s’agit de mieux préserver la ressource, comme un bon père de famille gérant les économies du ménage. Au plan mondial, cela ne veut pas dire basculer dans le protectionnisme. Une manière d’avancer en finesse, à l'international, serait de faire progresser le projet de taxe verte aux frontières de l’Europe. Avec un double bénéfice : lutter contre le phénomène du changement climatique, tout en se préparant à gérer des catastrophes de type Covid-19 et prendre soin, en même temps, de la ressource minérale, concurrencée aujourd’hui par des producteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences environnementales et sociales. La réflexion doit aussi être menée  à l'intérieur de nos frontières. Le feldspath, par exemple, n’est plus beaucoup produit en France, mais il reste des gisements qu’il serait judicieux de pouvoir un jour remettre en exploitation. Nous avons posé́ à Rémi Galin, du ministère de la Transition écologique et solidaire, la question de savoir quelle forme pourrait prendre cette protection de précaution à l'échelle du territoire national. Ces interrogations sont essentielles car, comme nous avons pu le constater sur le site d’exploitation du gisement d’argile kaolinique de Clerac, en Charente Maritime, les minéraux industriels sont extrêmement sensibles à la conjoncture économique.

 

LE MINÉRAL

MI-F - LE MINERAL - Le carbonate de calcium contre le Covid-19

Le carbonate de calcium contre le Covid-19

Présent sous forme de calcite dans les gants médicaux, il accroît leur résistance au déchirement et diminue leur prix de revient.

C'est un peu comme avec l'air ou l'eau, dont on ne perçoit toute la valeur que dans les moments où ils viennent à se raréfier. La crise du Covid-19 a généré de gigantesques pénuries de matériels de protection sanitaire pour les personnels médicaux exposés au virus. À cette occasion, on a redécouvert les vertus du modeste carbonate de calcium. Épaississant, abrasif, opacifiant utilisé dans le bâtiment, l'industrie papetière, celle des plastiques, en agriculture ou dans l'alimentation, le carbonate de calcium entre aussi, sous forme de calcite, dans la composition des gants médicaux dont la demande a explosé avec la pandémie de covid-19. L'avantage est double, en prix et en qualité. Le carbonate de calcium naturel joue le rôle d'un matériau de remplissage. Il peut composer jusqu'à 40% de la matière d'un gant. À ce titre, il permet de faire des économies de latex naturel, plus onéreux, et réduit ainsi les  prix de revient pour le système de santé. Mais ce n'est pas au détriment de la qualité, au contraire : bien utilisé, le carbonate de calcium améliore la résistance à la tension et à l'étirement. Les risques de déchirures diminuent et la sécurité d'utilisation augmente.

Valeur stratégique

Et voilà comment un minéral très commun - il est présent en moyenne à hauteur de 4% dans la composition de l'écorce terrestreet sur 40% environ du territoire national- démontre qu'il peut avoir une valeur stratégique. À priori, on ne risque pas de manquer de carbonate de calcium : il  fait partie des roches calcaires qui composent 20% des roches sédimentaires à la surface du globe et représente la deuxième industrie extractive dans le monde, après le sable et les graviers, néanmoins ces gisements correspondent à des critères précis et peu répandus. Mais, près de la moitié de la capacité mondiale de  production de 100 millions de tonnes annuelles est située en Chine. Cela souligne l'intérêt de toujours se préoccuper de préserver la ressource, sans toujours savoir à quel moment et pour quels usages on en aura besoin.

 

LE SITE

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On vous écrit de Clérac

Pendant la crise du Covid-19, sur le site, on mesure à quel point les minéraux, ici les argiles, sont la source de l'activité économique.

Les gisements d'argile représentent un actif de choix pour le millier d'habitants de la commune de Clérac. Le groupe Imerys y produit sa très recherchée principale spécialité locale : la chamotte. Il s’agit du résultat de la cuisson d'argile brut à haute température (1300°C). Le produit obtenu affiche un haut pouvoir de résistance à la chaleur, il est utilisé comme charge pour augmenter les qualités des mortiers réfractaires.

Les débuts de l'exploitation des gisements d'argile de la région remontent au 19ème siècle. On note une accélération de l’exploitation  à partir de 1903, avec l'ouverture de la voie ferrée Surgères-Saint Mariens, qui offre la possibilité d'acheminer l'argile ainsi que la résine et le bois, vers le port de Bordeaux. Autant dire que l’activité est passée à travers toute une palette de péripéties de l'histoire.

Les nutriments de l'activité économique

La crise provoquée par la pandémie de Covid-19, illustre à quel point les minéraux sont les nutriments essentiels de l'activité économique, ultra sensibles à ce titre à ses variations. L’argile, dont les premières utilisations documentées remontent à l'Egypte ancienne en est un cas exemplaire.

Après un effet de stockage de précaution d'une partie des acheteurs, notamment dans le domaine des produits réfractaires, les volumes ont commencé à diminuer, témoigne l'un des responsables du site. Sur d'autres marchés le retrait a été beaucoup plus rapide, du fait de la fermeture brutale des ports, et alors que bon nombre de céramistes clients sont implantés sur la rive sud de la méditerranée. Les minéraux de spécialité qui alimentent l'industrie des matériaux, dans le bâtiment, et entrent dans la composition des caoutchoucs et des colles, ont eux aussi vu leur demande diminuer On découvre à cette occasion que l'argile améliore les qualités des colles utilisées pour confectionner les masques de protection dont la pandémie de Covid-19 a fait exploser la demande. L’argile joue également un rôle précieux, sous forme de barbotine, dans le triage des légumes ainsi que dans l'alimentation animale.

 

QUESTION À ….

MI-F - Remi Galin

Rémi Galin
(ministère de la Transition écologique et solidaire)

En quoi la notion de « préservation de la ressource » prend-elle une nouvelle importance dans le contexte actuel ?

« La période d'incertitude qui s'est ouverte avec la pandémie de covid-19 change le regard. D'un coup, on redonne une valeur au fait d'avoir sur le territoire français des minéraux industriels dont on ne mesurait pas tout l'intérêt, et dans certains cas la relative rareté. Il existe tout au plus cinq gisements d’andalousite dans le monde, dont un en France ! Les gisements de diatomite ou le talc français ne sont pas banals sur la planète. On peut aussi considérer le cas du carbonate de calcium, pourtant très commun parce qu'extrait du calcaire et exploité dans toute une variété d'applications industrielles. On découvre aujourd'hui que ce minéral entre dans la composition d'équipements de protection sanitaire, à un moment où l'on se prend à regretter que la France ne soit pas indépendante pour ce type de matériel.

Les minéraux industriels ont de la valeur pour les entreprises qui les exploitent, mais aussi du point de vue de l'intérêt collectif. Ce rappel, dans le contexte de la crise actuelle, crée un devoir de protection. Il s'agit de protéger les gisements jugés intéressants des usages qui pourraient empêcher leur exploitation future, sans même savoir ce que seront les besoins futurs. L'urbanisation et les grandes infrastructures, comme les routes, sont concernées en premier lieu. Il faut aussi considérer les protections naturelles, qui certes, préservent l'accès au gisement, mais peuvent se transformer dans le temps en impossibilité d'exploiter. L'objectif est de faire en sorte d'éviter l'interdiction générale et absolue.

Pour y parvenir, le rôle de la puissance publique est incontournable. Certes on a l'exemple du gypse où les acteurs du secteur sont parvenus à s'organiser eux-mêmes. Les carriers ont constitué des réserves foncières tout au long du siècle dernier, qu'ils se sont bien gardés de livrer à l'urbanisation. Ce qui a été possible avec la force de frappe de l'industrie du plâtre dans le contexte de l’Ile-de-France de l’époque, est difficilement reproductible aujourd’hui. En dehors du champ des granulats, que l'on peut produire à partir de toutes sortes de roches « banales », Il convient que les pouvoirs publics prennent des mesures particulières pour les  substances plus spécifiques. La réforme de 2014 avec l’émergence des notions de gisements d’intérêt national ou régional à identifier et à protéger, va dans le bon sens.

 

L’IDÉE ...

Le temps long du minéral

Cycle long

Le cycle d’exploitation des minéraux exige une vision à long terme qui doit concilier pérennité économique et gestion judicieuse de l’environnement.

C'est un esprit un peu à l'opposé de celui de la bourse et des marchés financiers. Dans le domaine des minéraux, il faut savoir anticiper bien au-delà du trimestre ou de l'année. « L'une des caractéristiques les plus attractives de notre métier, est de nous imposer des visions de très long terme, la décennie au moins, parfois le siècle » s'enthousiasme un représentant du secteur.

L'exploitation des minéraux industriels suppose d'intégrer un projet industriel au cœur d'un espace naturel. Les contraintes géologiques, techniques, économiques, foncières et environnementales qui en découlent génèrent des questions très complexes, qui ne peuvent se dénouer que dans la longue durée.

En effet, le plan prédéterminé englobe l’exploitation mais aussi le réaménagement et la valorisation locale du site. Le démarrage lui-même est très progressif. Tout part d'une étude d'impact qui va analyser en fonction du site et du mode d’exploitation les effets sur l’environnement. A ce stade, la tendance est à la complexification : quelques formulaires à remplir jusqu’aux années quatre-vingt, mais un dossier très imposant aujourd’hui, avec des phases de concertation avec les populations concernées par le projet.

MI-F - Camargue

Ce qui est possible et ce qui est souhaitable

Le cycle de vie complet d'une carrière ressemble au cercle d’une spirale, où l’on ne revient pas au point de départ. La biodiversité après réaménagement d’un site bien géré augmente dans la plupart des cas, mais il faut accepter que celle-ci puisse se transformer au passage. Parmi les exemples les plus marquants de cette mutation, il y a le cas de la Camargue, profondément transformée par l'homme, notamment pour en exploiter le sel, et devenue un lieu de très grande bio-diversité. Bien pensé, un projet d'exploitation ressemble en quelque sorte à un exercice d'introspection où une communauté se pose un certain nombre de questions, sur ce qui est possible et ce qui est souhaitable pour son avenir à long terme. Une attitude particulièrement adaptée aux nouvelles incertitudes nées de la crise du Covid-19.

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